Par : Umuvugizi
Vingt ans après le génocide des Tutsi du Rwanda, les victimes n’ont toujours pas été dédommagées. La communauté internationale n’a pas pu prévenir le drame. Elle n’est pas intervenue pour arrêter la marche de la mort. Pire, elle s’est rendue coupable de « non-assistance à personne en danger ». Ancien chargé de l’information, à la MINUAR, la Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda, Mr Venuste Nshimiyimana a livré, il y a 5 ans, à l’occasion du 15ème anniversaire, un témoignage poignant. En 2009, il est revenu à Kicukiro rendre hommage à ceux qui n’ont pas survécu aux massacres. Il avait trouvé refuge à l’école technique officielle de Kicukiro. C’est là que plus de 2000 personnes, sous la protection de l’ONU, puis abandonnées, ont été massacrées. Nshimiyimana, occupait un poste important à la MINUAR. Il participait à toutes les réunions. Il jouissait de la confiance de tous les dirigeants de la mission, civils et militaires. Il jouissait de la confiance du Général Romeo Dallaire et de l’Ambassadeur Jaques-Roger Booh- Booh. Il savait ce qui se savait, confie un proche. Il savait donc que tout le monde savait que ce qui devait arriver, arriva. Le génocide des Tutsi. Journaliste à la BBC depuis près de 20 ans, Mr Nshimiyimana affirme « porter au cœur » (…)« pour qu’on les oublie pas », dit-il. Avant le 20 ème anniversaire, nous publions ce témoignage dont la teneur interpelle encore la communauté internationale et la conscience humaine.
Kicukiro: sortilège du Rwanda Eternel
Il y a 15 ans, jours pour jour, j’étais ici, en ce lieu, communément connu sous le nom de « Ecole technique Officielle de Kicukiro », ou « Ecole Don Bosco », ou même « Don Bosco ».
J’y avais trouvé refuge et quelques deux milles autres compagnons d’infortune traqués par des tueurs qui semaient la mort dans les contrées aux alentours, au printemps 1994.
A l’occasion d’un précédent voyage au pays natal, j’étais revenu discrètement me recueillir en ce temple, qui depuis près de deux décennies, est devenu le sortilège du Rwanda éternel. Des victimes innocentes s’y sont abritées et les démons de la mort sont venus les arracher, atrocement à la vie.
En franchissant l‘entrée de la concession, je me suis souvenu des mitrailleuses lourdes que les soldats belges y avaient installées pour protéger les refugies contre les miliciens endiablés qui rodaient, armés de machettes, de haches et de gourdins, et qui guettaient la moindre faille pour s’introduire dans l’école, pour semer la mort et le désarroi.
Au fur et à mesure que je m’approchais des bâtiments, je sentais l’odeur du bois mouillée et de la rose matutinale qui nous rafraichissait après une nuit d’insomnie rythmée par les explosions et les crépitements d’armes automatiques.
Le deuxième génocide de ce 20ème siècle venait de commencer. L’agenda n’était point caché. L’extermination des Tutsi était programmée. Nous avons accourus des quatre coins de la capitale, croyant que les soldats de la paix qui étaient ici allaient nous protéger.
Je me souviens encore du dernier convoi qui s’ébranla à la date du 12 Avril, forçant littéralement son passage, car les refugiés s’agrippaient au dernier camion militaire qui fermait la marche.
Les candidats au départ étaient nombreux, mais il y a eu peu d’élus. Les soldats Belges, Français et Italiens, venus évacuer leurs compatriotes, avaient leurs critères et il ne fallait pas être Rwandais pour prétendre à les remplir.
Les soldats qui sont venus ici n’étaient pas intéressés par le sort des Tutsi et des Hutu modérés qui étaient devenus la proie des extrémistes qui les pourchassaient comme des gibiers.
Aujourd’hui, quinze ans après les faits, lorsque je suis revenu en ce lieu désormais mythique, qui regorge des secrets que des milliers de fugitifs lui confirent bien avant d’être conduits au Golgotha de Nyanza, en regardant le ciel bleu dégagé de nuages, je me suis rappelé des nuits sombres au cours desquelles les balles traçantes chassaient les étoiles. La mort ne rodait plus, elle ne se cachait plus. Elle frappait à la porte, la forçait, et tuait. Nous l’attendions ici, dans cette Ecole, chaque soir.
ETO: refuge paradisiaque
Lorsque je suis arrivé à l’ETO le 7 avril, au crépuscule d’une journée qui avait déjà compté ses morts de la première heure du génocide, nous n’étions qu’une trentaine.
Le premier locataire, l’ancien ministre rwandais des affaires Étrangères, Boniface Ngulinzira, d’heureuse mémoire, y avait été conduit par les soldats belges qui étaient censés le protéger. Pourtant, ce sont les mêmes militaires qui refusèrent de l’amener à l’aéroport de Kanombe. De plus, ils n’ont pas voulu le ramener chez lui comme il le demandait, en espérant qu’il échapperait aux meurtriers, ou que du moins la mort y serait digne.
Le lieutenant Lemaire qui commandait la compagnie belge que j’ai supplié pour qu’il ne l’abandonne pas en lui expliquant son important rôle dans le processus de paix au Rwanda, me répondit : « Qu’il soit membre du gouvernent Dismas Nsengiyaremye ou du gouvernement Faustin Twagiramungu, on ne risquera pas la vie des nos hommes pour lui ».
Cette déclaration de la part du commandant même de la compagnie belge qui assurait la sécurité de l’école m’a choqué et je ne suis pas sur le point de l’oublier.
Lorsque je rapportais ces propos à Ngulinzira, il déclara fermement, en gardant son sang froid: « Nous allons rester ici, ils ont décidé de nous livrer aux miliciens ». Quinze ans plus trad., je me souviens de cette phrase comme si c’était hier.
Je garde un souvenir très ému et profond d’un certain Rugangura, marié a une employée du PNUD, Oda. Il l’a échappé belle aux tueurs qui l’ont pourchassés jusqu’à l’entrée de l’ETO. Les soldats belges ont refusé de lui ouvrir la porte, jusqu’à ce que sa femme fasse appel à moi, pour identifier son mari afin qu’il puisse entrer dans notre refuge paradisiaque.
Nous avons quitté cette école ensemble, dans le même convoi, nous nous tenions les mains pour nous réconforter, et avons quitté l’aéroport de Kanombe à bord du même avion.
Arrivés à Nairobi, nous avons été logés par les Nations unies dans le même hôtel 680, au même étage. Nous étions devenus inséparables. La présence de l’un rassurait l’autre. Le fait de le savoir vivant aujourd’hui me donne du réconfort.
Le dernier convoi
Le 13 avril 1994, lorsque l’avion C-130 de l’armée belge a décollé de Kanombe pour nous amener à Nairobi, j’ai longuement pleuré, en pensant à toutes ces femmes, à tous ces hommes et à tous ces enfants, que l’ONU venait d’abandonner, en les livrant ainsi à la merci des miliciens qui guettaient à l’entrée de cette l’Ecole.
Je me sentais d’autant plus mal pour la simple raison que le commandant du contingent belge de la MINUAR qui campait dans cette école, avait fait appel à moi pour traduire en langue nationale son mot d’adieu, lorsqu’il annonça à cette foule de réfugiés apeurés, que la MINUAR n’avait d’autre choix que de partir , tout en leur demandant de se défendre alors qu’il savait que les miliciens qui rodaient autour de l’Ecole était surarmés.
L’air ébahi, ils le regardèrent sans broncher, dignement, mais avec un regard imbu de désespoir, à tel point que le Lieutenant Lemaire, touché dans l’âme, fit un quart de tour comme il en avait l’habitude et alla digérer ses émotions loin des regards, derrière un camion bâché que l’on apprêtait pour le grand départ.
Toute la journée, des colonnes de voitures continuèrent d’arriver. Les soldats belges et français sont allés chercher même le dernier des missionnaires qui était au fin fond de la forêt de Nyungwe. Les coopérants arrivaient avec tous leurs bagages. Leurs chiens y compris. Jusque là rien de grave. Le comble est arrivé au moment de l’évacuation.
Etant donné que chacun conduisait sa voiture, bien qu’on ait proposé à ceux qui avaient des places libres de les offrir à ceux qui n’avaient pas de voiture, je me souviens qu’au sein du premier contingent qui quitta Don Bosco le 11 Avril, se trouvait un coopérant qui ne voulait pas se séparer de son chien, un terrier allemand.
Et pourtant un ancien ministre du gouvernement sur lequel pesaient des menaces certaines de mort, ne sera même pas autorisé à faire parti du convoi, même à bord de sa voiture personnelle. Comme si l’ordre avait été donné de ne pas s’intéresser à son sort. Quand on se rappelle que les belges voulaient évacuer Paul Secyugu, et que c’est lui qui l’a refusé, il y a lieu de se demander, pourquoi l’un et pas l’autre.
Imana du Rwanda veillait encore
Le dimanche précédent le début du génocide, l’Eglise catholique universelle avait célébré la fête de Pâques. Dans la petite chapelle de Don Bosco, le cierge pascal était presque encore intact.
Les réfugiés qui s’y entassaient n’avaient pas osé prendre possession de l’autel par respect pour le Saint Sacrement qui y trône dans un Tabernacle doré couvert par une étoffe de soie d’Asie. Ce soir là, le 10 avril vers 2 heures du soir, le courant électrique fut interrompu et nous fûmes plongés dans le noir. J’accourus aider les casques bleus à distribuer le peu de lampes tempêtes et de bougies dont ils disposaient, et lorsque je suis entré dans la chapelle, je fus saisi d’une grande stupeur à tel point qu’instinctivement je me suis agenouillé devant le Tabernacle, puis je me suis avancé vers le cierge pascal que j’ai démonté, et amené à l’extérieur. A l’aide d’un couteau, je l’ai découpé en morceaux que j’ai ensuite distribué aux réfugiés, surtout des femmes qui avaient des enfants en bas âge et qui étaient logés dans la chapelle. On nous disait depuis notre jeune âge que Dieu passe la journée ailleurs mais qu’il rentre se reposer le soir au Rwanda. J’y croyais encore ce soir.
Avant de quitter l’ETO, à la demande des refugiés, notamment les intellectuels réunis autour du ministre Ngulinzira, j’ai lancé un appel SOS au commandant du secteur Kigali, à l’aide de ma radio Motorola. Etant sur le réseau civil et militaire de la MINUAR, le message avait plus de chance d’être écouté par plusieurs responsables de la mission.
Mes compagnons ont suivi la conversation. J’avais augmenté le volume à leur demande et mis en marche le haut parleur. Le colonel Luc Marchal me demanda de les rassurer, ajoutant qu’il avait pris contact avec le chef d’Etat major de la gendarmerie et que ce dernier, le général Augustin Ndindiliyimana, lui avait assuré qu’il enverrait des gendarmes pour garder l’établissement après le départ des Belges.
Le groupe a réagi avec prudence aux assurances données par le colonel Marchal. Avec son calme légendaire, Ngulinzira ajouta « Nous allons rester ici, ils ont décidé de nous livrer à la mort».
D’ailleurs certains réfugiés qui avaient anticipé l’attaque avaient commencé à quitter discrètement le camp et à se réfugier dans d’autres endroits plus sûrs. Nous savions que le camp serait attaqué aussitôt après le départ des soldats Belges. Mais entre nous, nous nous étions convenus qu’il fallait se préparer à mourir ensemble. Des rumeurs faisaient état d’un déploiement imminent des soldats de la garde présidentielle pour appuyer les miliciens.
Unis jusqu’à la mort
Bien que le Lieuteneant Lemaire ait refusé au ministre Boniface Ngulinzira de faire parti du convoi, il avait pourtant autorisé à Paul Secyugu, un autre membre éminent de l’opposition rwandaise, député désigné du Parti Social Démocrate, à embarquer sur le prochain convoi.
Mais celui-ci a catégoriquement décliné l’offre. Il estimait que sa place se trouvait au milieu de ceux qu’il devait représenter au Parlement de transition. Il ne voulait pas les abandonner et préférera mourir avec eux. A son tour, sa femme déclina aussi l’offre de partir, en déclarant qu’elle ne pouvait pas se séparer de son mari.
Par contre, il insista pour que ses deux fils, Alain et Jean Claude Secyugu, puissent sortir de Don Bosco. Le fils-ainé, Jean Claude, était en dernière année de médecine à Kinshasa. Il était venu passer des vacances au Rwanda et s’était retrouvé au milieu de la tourmente. Son père, surtout sa mère, tenait absolument à ce qu’il ait l’occasion de terminer ses études. Pour y arriver, nous avons prétendu que Jean Claude travaillait pour le PNUD, faute de quoi, on n’allait pas l’évacuer. Quant à son frère, nous lui avons donné pour mère, une maman d’une soixantaine d’années, évacuée pour la simple raison que sa fille était mariée à un européen et était à ce titre autorisé à se rendre en Belgique. Nous avons ainsi pu sauver deux jeunes gens. Mais Paul Secyugu et sa femme seront sauvagement massacres par les miliciens en furie qui envahissaient l’Ecole de Don Bosco après le départ des casques bleus des Nations Unies.
Dans le groupe des intrépides de Kicukiro, on peut citer l’ancien Bourgmestre de Gikondo, un certain Gasamagera. Il était venu se réfugier ici à l’ETO, le 9 Avril, juste après le massacre survenu à la paroisse de Gikondo au cours duquel 500 personnes avaient été tuées.
Les miliciens et les militaires lui avaient montré que son autorité ne valait plus rien. Ils ne pouvaient pas les empêcher de sévir, et de tuer. De plus, il constituait une cible privilégie des tueurs. Il était originaire du Sud du pays, de Butare précisément, en commune de Kilembe. Il était membre d’un parti d’opposition, le PDS. De surcroît, il était marié à une femme Tutsi. Lorsqu’il est arrivé à l’ETO de Kicukiro, il nous a raconté comment les militaires l’avaient menacé, l’accusant de cacher des éléments du FPR, et leurs complices.
Il avait donc quitte sa commune, sans regarder derrière lui. Mais il avait été obligé d’y retourner le lendemain, avec sa camionnette, pour chercher des sacs de riz et de haricots, lorsqu’il se rendit compte que les milliers de gens qui étaient entassés à l’ETO n’avaient plus rien à manger. Un acte de courage. Nous le regardions partir, avec deux de ses policiers armés de kalachnikov, mais nous ne savions pas s’il allait revenir.
L’Ecole Don Bosco avait accueilli tout le monde. Des gens venus des communes voisines : Gikondo, Remera, Kanombe et même Kachiru Toutes les couches sociales s’y retrouvaient, toutes les ethnies y étaient représentées. Tous ces refugies, avaient un ennemi commun : les miliciens qui rodaient, de nuit comme de jour, autour de l’Ecole, tels des félins pour nous arracher les plus faibles, mais aussi qui tuaient à coups de massue ou de gourdins, les moins chanceux qui n’arrivaient pas à tromper leur vigilance pour se glisser à l’intérieur de l’école.
Une famille massacrée devant des soldats de l’ONU
Je me rappelle d’un jour où un soldat belge a failli péter les plombs après avoir assisté sans rechigner, à la mort d’une femme et de ses deux enfants, découpés en morceaux juste devant l’entrée de l Ecole. Deux mitrailleuses lourdes pointaient pourtant leurs nez en direction des miliciens endiablés, mais le soldat expliqua plus tard qu’il n’avait pas reçu l’ordre de tirer. Drôle de mandat ! Mais alors que faisaient-ils-là ? Officiellement, ils assuraient la défense de leur campement. Nous avions donc bénéficié de leur hospitalité, ils nous défendraient tant qu’ils seraient là, mais nous allions tirer notre plan dès leur départ.
Le 10 avril, lorsque les paras commandos de l’opération Silver Back sont arrivés à Kigali, alors qu’ils se dirigeaient au centre –ville en empruntant la route Sonatubes –Rwandex, un groupe de miliciens tenant un barrage à hauteur de Sonatubes a tiré sur le convoi des bérets rouges qui avaient encore la mémoire fraîche de la mort des casques bleus. Ils ont riposté vigoureusement, indistinctement, tirant sur tout ce qui bougeait.
La plupart des victimes étaient des civils Tutsi ou Hutu modérés qui étaient sortis de leurs cachettes en apprenant l’arrivée des soldats belges. Le soldat belge qui m’a rapport cette information était traumatisé. Il se souvenait que même des femmes et des enfants se trouvaient parmi les victimes, mais imputait la faute aux miliciens qui avaient déclenché les hostilités. Par la suite, les soldats belges ont demandé aux français de l’Opération Amaryllis de toujours prendre les devants, étant donné que les français se trouvaient en un territoire qui leur était favorable. A ma connaissance, les Belges n’ont pas fait d’enquête interne pour établir les responsabilités.
Les victimes, les rescapés du massacre de Nyanza et moi-même, ainsi que d’autres qui ont pris la tangente à temps et qui ont survécu, étions venus ici, parce que nous nous y sentions plus en sécurité. Comme je le disais plus haut, d’autres, à l’instar du Ministre Ngulinzira, y ont été amenés par ceux qui assuraient leur protection. Dès les premiers jours de notre captivité, nous avons reçu beaucoup de visites, d’officiers militaires de l’armée gouvernementale, venus extirper les leurs pour les mettre en sécurité.
Mais personne n’a daigné déployer des hommes pour affronter les miliciens qui venaient narguer, jusqu’à l’entrée de l’école les soldats belges qui y montaient la garde, allant même parfois jusqu’à tuer leurs « proies » devant l’air hagard et impuissant des soldats de la paix.
Nous étions venus ici, car nous savions que des éléments de la MINUAR étaient là et espérions qu’ils allaient assurer notre protection en vertu de leur mandat. Ceux qui avaient la possibilité d’aller vers d’autres cieux ne l’ont pas fait, et sont venus à l’ETO, car l’endroit était sécurisé. Pendant les 7 jours passés ici, encerclés par les tueurs qui n’attendaient que le moment propice pour entreprendre leur sale besogne, nous n’avons reçu aucune visite d’un responsable des Nations Unies.
Le seul patron, était le lieutenant Lemaire. Le seul responsable qui faisait tout pour assurer notre protection mais que sa hiérarchie militaire qui dirigeait pratiquement les opérations à partir de l’Etat-major bruxellois situé à Evere, a empêché d’intervenir, c’est le Colonel Luc Marchal. Il voulait maintenir ses hommes sur le lieu de campement, et il avait cru jusqu’au bout que des gendarmes rwandais y seraient déployés pour nous protéger.
Tout le monde savait
Apres, le génocide, des dirigeants du monde libre sont venus au Rwanda, et certains d’entre eux ont reconnu leur manquement et demandé pardon au peuple rwandais au nom de leur pays. L’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt l’avait publiquement reconnu au stade Amahoro, vous vous en souvenez, le 7 avril 2004, lors des commémorations du 10 eme anniversaire du génocide. Il avait déclaré solennellement vouloir « assumer notre responsabilité », et il a reconnu « avoir failli au devoir élémentaire d’ingérence » mais aussi au « devoir de fraternité ».
Il est regrettable que le premier ministre belge n’ait pas fait allusion à l’abandon des refugiés par le contingent belge qui assurait leur protection ici a à Kicukiro. Les familles des victimes réclament toujours justice.
La communauté internationale avait l’obligation d’intervenir et d’essayer d’arrêter la marche macabre du génocide. Elle n’a pas bougé. Elle devrait aujourd’hui assumer son entière responsabilité.
L’ancien Président des Etats-Unis, Bill Clinton a reconnu que son pays a manqué à ce devoir d’ingérence, et l’on pourrait même parler de non assistance à personne en danger. Nous savions que des soldats américains étaient à Bujumbura pour intervenir le cas échéant. Les Etats-Unis, après la déroute subie en Somalie, ne voulait pas s’engager au Rwanda, mais le comble est qu’ils ont même empêché quiconque voulait intervenir de le faire.
L’ancien Secrétaire général des Nations, Koffi Annan, a reconnu que son organisation n’avait pas bénéficié du soutien nécessaire des pays membres lorsqu’il faillait réunir les troupes devant constituer la force d’intervention au Rwanda.
Le monde savait qu’un génocide se préparait. Les services de renseignements de certaines capitales occidentales savaient ce qui se tramait. Certains ont même pactisé avec le gouvernement intérimaire qui a manqué à son devoir de protéger la population et dont certains responsables ont reconnu, devant le TPIR, qu’ils ont orchestré le génocide. Certains gouvernements résistent encore aujourd’hui et ne veulent pas reconnaitre leur responsabilité dans la tragédie rwandaise.
La France qui a formé et encadré l’armée rwandaise pendant plus de trois décennies n’a jamais reconnu une quelconque responsabilité dans la tragédie. Des militaires français sont pourtant venus ici. Ils ont évacués leurs compatriotes et sont reparties. Ils étaient pourtant armés jusqu’aux dents. Les miliciens les respectaient et ne tiraient jamais sur eux. S’ils avaient voulu, ils auraient pu sauver tout le monde.
Voici venu le temps d’agir
Fini le temps des mots, voici venu le temps des actions concrètes. Aujourd’hui, il faut procéder aux dédommagements des victimes du génocide. Un drame que nous avons tous vu venir, mais que nous n’avons pu empêcher ou arrêter. Plus que jamais auparavant, aujourd’hui, les victimes de Kicukiro demandent justice.
Rien ne peut réparer le traumatisme d’une mort atroce, mais les survivants de cet hécatombe, ou les proches des victimes qui considèrent ce lieu comment l’endroit qui a englouti une partie de leur vie, ont besoin d’un accompagnement adéquat. Le génocide des Tutsi, personne ne peut aujourd’hui prétendre qu’il n’en savait rien.
De New York à Bruxelles, en passant par Washington et Paris, tout le monde savait. Lorsque nous sommes arrivés à Kanombe, le soir du 12 avril, après avoir traversé le quartier de Nyakabanda et de Kabeza, jonchés de cadavres encore frais, un soldat belge m’a confié : « Nous serions restés à l’ETO si on nous l’avait demandé ». Ils sont partis, abandonnant à une mort certaine ceux dont ils avaient assurés la protection une semaine entière.
Quinze ans après le génocide, cet ouragan de la mort dont les ravages restent encore visibles sur les visages de certains d’entre nous qui portent encore les stigmates de l’horreur, la justice n’est toujours pas encore rendue pour mes anciens compagnons d’infortune. L’ONU les a abandonnés dans cette école dont elle assurait la protection et ils seront par la suite conduits comme un troupeau qu’on amène à l’abattoir sur le mont Nyanza, de triste mémoire. Un massacre sans précédent. Un génocide sans nom.
Pourquoi ne suis-je pas resté avec eux à ETO ? Très honnêtement, j’ai eu peur de mourir. Mais j’ai également eu beaucoup de chance. J’étais parmi les 30 premiers réfugiés arrivés à l’ETO, je fus parmi les rares rwandais évacués de Kicukiro. J’étais membre de la MINUAR. Donc considéré comme expatrié. Ne m’ont-ils pas encouragé à partir, sans se soucier de la sécurité de ma femme, car elle était « rwandaise ». Curieusement, je pouvais prendre ma fille, née de notre union. Mais quelle folie ! Je souffre beaucoup pour avoir survécu.
Aujourd’hui, je témoigne, pour rendre un juste tribut de regret à ces victimes innocentes de la barbarie humaine. La semaine que nous avons passée ensemble, dans la peur et le dénouement, m’a rapproché d’eux, à jamais. A tous ceux, dont le sang verse s’est mélangé a la terre rouge de Kicukiro, je vous porterai toujours au cœur de mon combat pour la justice, jusqu’à mon dernier souffle. Je vous dédie, le livre que je viens de terminer et qui raconte les moments forts que nous avons passés ensemble. Pour qu’on ne vous oublie pas.
Kigali, le 6 Avril 2009